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Hydrogène : vers une transition énergétique citoyenne ?

Publié par Jean Picard, le 24 avril 2018   2.1k

Le mardi 20 mars 2018, l'équipe du programme TÉTHYS a participé à la journée de créativité du concours “Têtes chercheuses”. L'occasion pour les deux chercheurs en sociologie du programme, Frédérick Lemarchand et Dany Lapostolle, de nous présenter TÉTHYS.


Qu’est-ce que la transition énergétique ? Quelle rôle joue-t-elle dans la vie des citoyen-ne-s ? Comment peuvent-ils s’en emparer dans le cadre d’une démocratie participative ? Le programme TÉTHYS, lancé le 15 novembre 2017 se donne pour objectif de répondre à toutes ces questions. Présents sur les territoires de Normandie, de Bourgogne et de Nice , le programme de recherche va expérimenter la mise en démocratie de la transition énergétique au travers du modèle de l’hydrogène. Pour ce faire, TÉTHYS lance un vaste plan d’enquête et de recherche auprès de publics d’entrepreneurs et d’étudiants. Dans un second temps, TÉTHYS lancera une démarche participative réunissant chercheurs et citoyens dans une dynamique LivingLab.


Afin d’avoir une première approche du programme TÉTHYS, Frédérick Lemarchand, Enseignant-chercheur au Centre d'études et de recherche sur les risques et les vulnérabilités (CERReV), Co-Directeur du Pôle "Risques" de la Maison de la recherche en sciences humaines de l'Université de Caen Normandie (MRSH Normandie Caen) et Dany Lapostolle, Enseignant-chercheur au laboratoire "Théoriser et modéliser pour aménager" (ThéMA, Dijon), ont accepté de répondre à quelques questions.


Qu'est ce qu'est TÉTHYS ?


Frédérick LEMARCHAND (FL) : THÉTYS est un programme de recherche pluridisciplinaire regroupant les sciences humaines, telles que la sociologie, et les sciences de l'ingénieur. L’objectif est d’interroger la mise en démocratie de la transition énergétique en prenant pour exemple l’hydrogène.


Dany LAPOSTOLLE (DL) : Cela induit le fait que la transition n'est pas uniquement une affaire de techniciens et de spécialistes, mais une affaire socio-technique, politique et citoyenne.


Une maquette d'électrolyse, réalisée par l'équipe du programme THÉTYS


Est-ce le cas aujourd’hui ?


DL : Aujourd’hui, ce qui est mis en avant dans la transition énergétique c’est la croissance économique, ou la création d’activité et d’emplois. Le véritable enjeu dans les discours et les actes des pouvoirs publics c’est la compétitivité. Les discours politique et technocratique parlent de “transition énergétique” pour la croissance verte. Cela s’est traduit en 2015 dans la loi éponyme. On suit la même trajectoire que celle empruntée par l’énergie nucléaire : il n’y a pas eu de véritable concertation avec les citoyens, seulement des logiques politiques et industrielles descendantes qui ont poussé au développement de cette énergie.


FL : On parle plus volontiers de “croissance verte” que de “transition énergétique” pour une raison simple : la “croissance verte” peut être calculée, c’est un PIB (Produit Intérieur Brut, un indicateur économique du niveau de production à l’intérieur d’un pays, NDLR). Dans cette logique, le développement de l’hydrogène se retrouve dans les mêmes problématiques que l’énergie électrique avant elle : ce sont des consortiums industriels qui sont à la manœuvre auprès des pouvoirs publics. Ces industriels sont d’ailleurs les mêmes que ceux qui produisent le nucléaire ou l’éolien. Mais globalement, il n’y a pas de réflexion sur les moyens de production, le but étant toujours la croissance. C’est là que TÉTHYS intervient : rechercher une nouvelle source d’impulsion à cette transition, non pas politico-industrielle, mais citoyennes.


Pourquoi les sciences humaines s’intéressent-elles à l’hydrogène ?


DL : L'objet principal du programme n'est pas l'énergie hydrogène en elle-même, elle doit être vue comme prétexte à une enquête, à un débat sur la transition énergétique. Nous devons questionner l'hydrogène et son utilisation comme source et vecteur d'énergie, comme façon de construire la transition énergétique. Il s'agit aussi de questionner/d'interroger le rôle des territoires dans l'organisation de cette transition et d'étudier la façon dont s'organisent les pouvoirs en leur sein autour de cette question de transition. On parle alors de territorialité énergétique.


FL : On ne va pas se le cacher non plus, on doit présenter l'hydrogène dans ses enjeux, ses caractéristiques, ses limites et ses avantages. Mais cette présentation doit aboutir à deux questions : est-ce que l'hydrogène est intéressante pour la transition énergétique ? Et, à l'inverse, est-ce que la mise en démocratie de la transition énergétique peut s'accommoder d'une énergie comme l'hydrogène ? Nous n’avons pas la réponse à ces questions. C'est Le Dôme et ses publics qui vont nous la fournir.


Comment s’est intégré TÉTHYS dans cette journée “Têtes chercheuses” ?


FL : Nous y avons déjà participé l'année dernière et Le Dôme, en tant qu’acteur du programme, nous a invité à renouveler notre candidature cette année. Ce qui est intéressant, c'est que nous sommes à la fois participants et observateurs, tout comme le public.


DL : C'est un dispositif qui nous fait vivre une expérience, pour nous en tant que chercheurs et pour le public. Le propre de cette journée c'est que tous les participants sont mis au même niveau.


Comment comptez-vous exploitez cette journée dans le cadre du programme TÉTHYS ?


FL : C'est véritablement une journée de travail. Après quatre présentations du programme aux participants, le mot “hydrogène” ne réapparaît pas dans les idées proposées. C'est révélateur et très intéressant.


DL : L'idée du programme TÉTHYS est aussi de créer un public apte à répondre aux problématiques de la transition énergétique, un public qui, sans être expert du sujet, se dit « la transition c'est quelque chose qui nous concerne, on a compris ça ». De ce point de vue, on pourrait considérer cette journée comme la première brique d'un édifice. C'est une expérience dont nous ne sommes pas encore sûrs du résultat.


FL : Et pour poursuivre dans ce sens, l'objectif de la journée pourrait être d'avoir aider les citoyens à mieux comprendre les enjeux de la transition énergétique via l'hydrogène, capables de poser des questions pertinentes et de développer des savoirs et des savoir-faire. On peut imaginer dans le futur des “makers” de la transition énergétique, c’est-à-dire des citoyens artisans de cette évolution dans le sens technique du terme.


Frédérick Lemarchand (au centre) entouré des publics présents lors de la journée Têtes chercheuses


Quelles sont les prochaines étapes du programme TÉTHYS ?


FL : La suite se divise en deux étapes. Tout d'abord, une grande enquête sociologique sera menée auprès de 750 étudiants et 750 industriels (répartis dans les trois territoires de Normandie, de Bourgogne et de Nice, NDLR). Dans le même temps, 3000 articles de presse concernant les questions de transition énergétique vont également être étudiés par l’un de nos doctorants, Esdras Ngounou Takam. Ces études vont nous permettre de définir les questions qui guideront le programme TÉTHYS. Par la suite, nous organiserons un cycle d'activités LivingLab en coopération avec Le Dôme. Ce seront deux années pleines, entre mi-2018 et mi-2020, de rencontres d'élus, d'agriculteurs, d'étudiants et de citoyens autour d'ateliers.


DL : Cette deuxième partie renvoie aussi à un enjeu important en Bourgogne, où il n'y a pas encore de lieu de LivingLab. Tout l'enjeu sera de créer une structure capable de porter ces démarches participatives et de voir si cela fonctionne. 



Journée Têtes chercheuses :


L'équipe du programme TÉTHYS a participé à la journée “ Têtes chercheuses” le mardi 20 mars dernier. Après une brève présentation du programme aux publics présents (à savoir des particuliers, des personnels du CEMU et des étudiants en BTS “Développement, Animation des Territoires Ruraux”), l'équipe de chercheurs et quelques participants se sont lancés dans la réalisation d'un projet de médiation.


Au terme de cette journée, riche en échanges, l'équipe TÉTHYS a abouti à l’idée d’un jeu de plateau questionnant sur l'utilisation des énergies nouvelles et de l'empreinte carbone laissée par chacun. Le jeu a su susciter un certain nombre d'interrogations de la part du jury, notamment sur le calcul de l’empreinte carbone. Ces réactions sont la preuve que la question de la transition énergétique n'est pas anodine et n'attend que d'être prise en main par les citoyens.