Le cerveau face au stress post-traumatique

Publié par UNICAEN Normandie, le 6 mars 2020   4.9k

Une étude publiée dans la revue Science

Face à un même événement, pourquoi certaines personnes développent-elles un stress post-traumatique, quand d’autres ne connaîtront jamais ce trouble ? Que se passe-t-il dans notre cerveau ? Ces questions sont au cœur du projet Remember dirigé par Pierre Gagnepain, chercheur à l’Inserm (Neuropsychologie & imagerie de la mémoire humaine · NIMH | UMR-S 1077 UNICAEN-EPHE-INSERM). Les premiers résultats viennent d’être publiés dans la prestigieuse revue américaine Science.  

Remember : le volet biomédical du programme 13-Novembre 
Explorer les effets d’un événement traumatique sur le cerveau et les mécanismes de résilience : c’est l’ambition du projet Remember, porté par l’unité NIMH, spécialisée dans l’étude de la mémoire humaine et de ses maladies. Ce projet s’inscrit dans le cadre du programme 13-Novembre, qui étudie la construction et l’évolution de la mémoire des attaques terroristes ayant touché Paris en 2015. Au cœur du programme : les témoignages de 1 000 personnes volontaires recueillis au cours de quatre campagnes d’entretiens successives menées sur une période de douze ans. Parmi ces personnes, 300 appartiennent au premier cercle des victimes – survivants, proches des victimes, forces de l’ordre et professionnels de santé présents sur les lieux ce soir-là. Outre la mémoire individuelle, le programme s’accompagne d’une analyse de la couverture médiatique des attentats pour étudier la mémoire collective de ces événements. 

Comprendre le stress post-traumatique
Près de la moitié des personnes directement exposées aux attentats du 13 novembre présentent un état de stress post-traumatique partiel ou complet. Ce trouble se caractérise par des "souvenirs intrusifs" — des images, des sensations, des émotions associées au traumatisme vécu qui surgissent brutalement, à tout moment. Cet état, complexe, varie d’un individu à l’autre : les intrusions peuvent apparaître immédiatement ou des années après le traumatisme vécu… ou bien ne jamais survenir. Pour les chercheurs du NIMH, il s’agit de comprendre pourquoi et comment surviennent ces souvenirs intrusifs, mais aussi pourquoi et comment certaines personnes parviennent à les inhiber. Une étape indispensable pour envisager de nouvelles stratégies thérapeutiques permettant de contrer ces intrusions, sources de grande détresse pour les personnes concernées.  

Think/No-think 
Pour mieux comprendre l’origine de ces intrusions, une étude d’imagerie médicale est actuellement menée à Cyceron auprès de 175 personnes, dont 102 personnes ayant été exposées aux attentats de Paris. Parmi elles, 55 présentent un trouble de stress post-traumatique. Cette étude s’appuie sur la méthode Think/No-Think permettant de modéliser l’intrusion de souvenirs, sans exposer les participants aux images traumatisantes des scènes vécues. Cette méthode consiste à apprendre des associations de mots et d’images (par exemple, le mot « bateau » associé à l’image d’une paire de jumelles ou encore le mot « table » associé à l’image d’un ballon) avant de passer un examen IRM. Lorsque le mot « bateau » est présenté en vert, les participants doivent laisser venir l’image de la paire de jumelles, qui est automatiquement activée dans le cerveau. En revanche, lorsque le mot « table » est présenté en rouge, les participants doivent empêcher l’image du ballon de survenir. Objectif de cette méthode : observer l’activité cérébrale associée aux mécanismes de contrôle de la mémoire permettant de réprimer une image intrusive. 

Améliorer la prise en charge des patients
Le trouble de stress post-traumatique a longtemps été associé uniquement à une défaillance de la mémoire. Une altération de l’hippocampe, petite région du cerveau dans lequel se logent nos souvenirs, serait à l’origine du souvenir traumatique. Les premiers résultats de l’étude montrent que les mécanismes du cortex frontal contrôlant les souvenirs au sein de l’hippocampe seraient également impliqués dans le développement du stress post-traumatique. Des différences sont très nettement observés dans les réseaux cérébraux de contrôle des trois groupes de participants — les individus non exposés aux attentats ; les individus exposés aux attentats et présentant un trouble de stress post-traumatique ; les individus exposés aux attentats et résilients. Ces résultats ouvrent de nouvelles pistes de prise en charge des patients. « Tous les traitements impliquent aujourd’hui de se confronter au traumatisme, ce qui n’est pas toujours évident pour les patients », indique Pierre Gagnepain, responsable scientifique du projet Remember. « On pourrait imaginer le développement de méthode permettant de stimuler les mécanismes de contrôle indépendamment du trauma mais facilitant pourtant le traitement du souvenir traumatique. » Les résultats de l’étude Remember seront confrontés aux autres volets du programme 13-Novembre afin de mieux comprendre les facteurs individuels et collectifs protégeant les individus du stress post-traumatique. 


Porté par le CNRS et l'Inserm pour le volet scientifique et par HESAM Université pour le volet administratif, le programme 13-Novembre est financé par le Secrétariat général pour l’investissement via l'Agence nationale de la recherche (ANR) dans le cadre du Programme investissements d'avenir (PIA). Composante de l’équipex MATRICE, il rassemble 31 partenaires et 26 soutiens. 


“Resilience after trauma: The role of memory suppression” Alison Mary, Jacques Dayan, Giovanni Leone, Charlotte Postel, Florence Fraisse, Carine Malle, Thomas Vallée, Carine Klein-Peschanski, Fausto Viader, Vincent de la Sayette, Denis Peschanski, Francis Eustache, Pierre Gagnepain Science 14 Feb 2020: Vol. 367, Issue 6479, DOI: 10.1126/science.aay8477