Les ports du Havre, de Marseille et de Dunkerque face à la concurrence européenne

Publié par COGITO Normandie, le 3 décembre 2025   41

Une étude menée de 2018 à 2022 sur les ports du Havre, de Marseille et de Dunkerque met en lumière leur performance face aux 49 principaux ports européens. S’ils affichent des indicateurs en deçà de leurs concurrents – taux de navires obligés de passer au mouillage, durée moyenne des escales ou taux moyen de manutention –, leur progression est bien réelle.


par Arnaud Serry, Maitre de conférences HDR en géographie (Université Le Havre Normandie) et Ronan Kerbiriou, Ingénieur d'études (Université Le Havre Normandie).


La performance des ports est au cœur de la compétitivité économique et logistique d’un pays. Dans un contexte de chaînes d’approvisionnement mondialisées, la fluidité du passage portuaire est un facteur déterminant pour attirer les armateurs, dont une poignée contrôle la quasi-totalité des capacités de transport et les trafics conteneurisés.

Malgré des investissements et des atouts géographiques indéniables, les ports français présentent des performances en retrait par rapport à leurs grands concurrents européens.

C’est ce que montre notre étude menée de 2018 à 2022. À partir des données Automatic Identification System (AIS) et de la plateforme Port Performance de S&P Global, nous avons comparé les performances des trois principaux ports à conteneurs français – Haropa-Le Havre (Seine-Maritime), Marseille-Fos (Bouches-du-Rhône) et Dunkerque (Nord) – à celles des 49 ports européens ayant traité plus de 500 000 équivalents vingt pieds, l’unité de mesure du transport maritime, en 2022.

CROISSANCE DU HAVRE, DE MARSEILLE ET DE DUNKERQUE

Les trois ports français étudiés présentent des profils contrastés.

Haropa-Le Havre, premier port à conteneurs national, affiche un trafic de 3,01 millions d’équivalents vingt pieds (EVP) en 2022. Soit une croissance de 5 % par rapport à 2018. Marseille-Fos, deuxième, atteint 1,5 million d’EVP avec une croissance de 8 %. Dunkerque, longtemps tourné vers le vrac, connaît une véritable percée avec 745 000 EVP, soit une hausse de 76 % sur la période.

Cette progression s’explique par le renforcement des liaisons opérées par CMA CGM, acteur majeur du pavillon français. À Dunkerque, la compagnie représente près des trois quarts des escales de porte-conteneurs. Le port nordiste accueille désormais des unités de très grande capacité de plus de 18 000 EVP, illustrant sa montée en gamme sur les lignes maritimes principales.

PEU D'ENGORGEMENT POUR L'ACCÈS MARITIME DES NAVIRES

Les ports français se distinguent positivement par leur accessibilité maritime.

En 2022, en moyenne en Europe, un tiers des navires étaient obligés de passer au mouillage avant d’accoster. À Marseille, ce chiffre n’était que de 4 %. Au Havre, 24 % des navires ont attendu en rade, un chiffre en hausse mais encore proche de la moyenne régionale, et à Dunkerque ils étaient 16 %. Ce dernier se distingue également sur le temps d’attente moyen qui n’est que de 8,2 heures contre 25 heures en moyenne en Europe.

Ces chiffres traduisent une fluidité maritime et une faible congestion. C’est une force dans un contexte où de nombreux ports européens subissent régulièrement des engorgements et où l’attente signifie une perte d’argent pour les armateurs de lignes régulières conteneurisées.

Taux de navires passant au mouillage (passant au moins quinze minutes en zone d’ancrage) en 2022.
S&P Global Market Intelligence, Fourni par l'auteur

UN RYTHME DE 35 CONTENEURS PAR HEURE

Le revers de la médaille apparaît à quai. La durée moyenne des escales reste plus élevée en France que dans le reste de l’Europe.

Au Havre, elle dépasse de six heures la moyenne de ses concurrents de la Manche et de mer du Nord. À Marseille et à Dunkerque, les durées se rapprochent davantage de celles observées dans leurs bassins géographiques respectifs, mais sans les dépasser.

L’un des principaux facteurs de ce retard est la productivité des opérations de manutention. En moyenne, les ports français déplacent moins de conteneurs par heure et par grue. À Marseille-Fos, la productivité atteint seulement 35 conteneurs par heure, contre plus de 55 en moyenne européenne. Cette faiblesse tient au nombre réduit d’engins de levage disponibles : 1,5 grue en moyenne par escale, contre 2,2 en Europe.

Nombre moyen de conteneurs manutentionnés par navire et par heure en 2022.
S&P Global Market Intelligence, Fourni par l'auteur

Nous pouvons noter également que les ports français occupent un rôle encore limité dans le transbordement, l’acheminement de conteneurs vers une destination intermédiaire. Au Havre (50,8 conteneurs par heure) et à Dunkerque (45,6), la situation est meilleure mais reste en deçà des ports de la Manche et de la mer du Nord, où la moyenne s’établit à 61,8.

DES TAUX DE MANUTENTION FAIBLE

Au-delà de la vitesse, le rapport entre le nombre de conteneurs effectivement manutentionnés et la capacité théorique des navires met en évidence une autre faiblesse structurelle. Le taux moyen de manutention s’élève à 44,4 % en Europe, mais seulement à 28 % au Havre, 30 % à Dunkerque et 33 % à Marseille. Les trois ports français possèdent des taux moyens parmi les plus bas des ports étudiés.

Autrement dit, pour le même porte-conteneurs d’une capacité de transport théorique de 20 000 EVP, au Havre, 5 600 EVP seront chargés et déchargés contre 11 000 EVP à Anvers. Cette différence illustre la place intermédiaire occupée par les ports français dans les itinéraires des grandes compagnies maritimes : leurs escales y sont plus courtes et moins chargées.

Dans le contexte actuel et dans les stratégies des grands armateurs, certaines escales sont moins importantes. En cas de réorganisation des lignes maritimes, les armateurs peuvent choisir de supprimer certains ports de leurs services et de se concentrer sur un nombre plus restreint de ports, le blank sailing.

Les services maritimes se recentrant sur un nombre d’escales plus réduit, les ports avec des taux de manutention faibles sont les plus susceptibles d’être une escale sautée. Il faut tout de même souligner que, pour les ports de Marseille et de Dunkerque, les taux de manutention sont en progression constante depuis 2018 de 7 et de 13 points de pourcentage respectivement.

HAROPA EN ÉTABLISSEMENT UNIQUE

La compétitivité portuaire ne se réduit pas à la performance technique. Elle dépend aussi de la qualité des connexions terrestres, du fonctionnement des terminaux, du dialogue social et de la capacité à offrir des services logistiques intégrés.

Les ports français souffrent encore d’une fragmentation institutionnelle et d’une gouvernance parfois complexe, là où leurs concurrents du Nord ont su rationaliser et industrialiser leurs processus. La transformation de Haropa en établissement unique en 2021 constitue un pas dans la bonne direction, mais les effets se feront sentir sur le long terme.

VERS UNE STRATÉGIE NATIONALE DE RECONQUÊTE ?

Malgré leurs connexions sur les lignes majeures mondiales, les ports français présentent des performances plus faibles que leurs principaux concurrents européens. Face à la domination d’Anvers, de Rotterdam ou de Hambourg, les marges de manœuvre existent. L’enjeu n’est pas de rivaliser sur la taille, mais sur l’efficacité et la fiabilité. Réduire la durée des escales, améliorer la productivité des terminaux et fluidifier les dessertes ferroviaires et fluviales sont des priorités.

Les ports français disposent d’atouts : des réserves foncières importantes, une position géographique stratégique entre Méditerranée et Manche, une accessibilité maritime globalement performante, etc. Dans le même temps, plusieurs ports européens connaissent des épisodes de congestion et la présence d’un armateur mondial, CMA CGM, ou encore l’investissement important de MSC au Havre.

Pour transformer ces atouts en avantage compétitif durable, il faudra poursuivre les efforts de modernisation et de coordination logistique. Car dans un monde où chaque heure de transit compte, la compétitivité portuaire devient un indicateur clé de la souveraineté économique.

CréditsAlexandre Prevot/Shutterstock.

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Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Retrouvez notre sélection d'articles dans le dossier "The Conversation : Normandie, terrain de recherche".

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