Collaborer pour mieux préserver

Publié par Le Dôme, le 10 septembre 2025   190

La façade Manche Est-Mer du Nord voit transiter deux-tiers du trafic portuaire français, représente la principale région productrice de coquilles Saint-Jacques et 20% des granulats marins sont extraits en Manche. Avec ses 2 000 marins-pêcheurs, la Normandie comporte la plus forte concentration de navires de pêche.

Depuis plusieurs années, de nouvelles activités s’installent au large des côtes, imposant une restructuration et un partage de l’espace maritime. Face aux dérèglements climatiques et aux pressions exercées sur l’environnement, les professionnel·les (associations, scientifiques, entreprises) se mobilisent pour préserver l’environnement et assurer le maintien des ressources. Ces enjeux étaient au cœur des principaux objectifs de la 3ème conférence des Nations Unies sur l'océan qui s’est déroulée à Nice en juin 2025.

LA MANCHE, TERRITOIRE DE TENSIONS ET D’EXPÉRIMENTATIONS

Depuis 2020, année du Brexit, la Manche est coupée en deux, certaines activités comme la pêche voient leur activité bouleversée. Les réglementations évoluent et les zones pour chaque activité diminuent. Dans le même temps, l’atteinte des objectifs de 40% d’énergie renouvelable fixés à l’horizon 2050 par la France, accélère l’apparition des parcs éoliens offshore au large de nos côtes. Le territoire maritime est donc de plus en en plus restreint.


“ Les enjeux sont compliqués. Il y a 10 ans, j’allais où je voulais quand je voulais,
mais maintenant je suis contraint par des activités industrielles et des activités qui touchent à l’environnement. Des activités qui n'existaient pas avant et qui mettent en difficulté beaucoup de pêcheurs et qui exacerbent la concurrence entre les bateaux”.

― Dimitri Rogoff, Président (Comité régional des pêches maritimes et des élevages marins).


La multiplication des activités et les évolutions du territoire sont aussi des terrains d’expériences inédits pour les scientifiques. Les équipes de recherche réalisent de nombreux suivis pour connaître les effets et perturbations sur l’environnement (changement de la nature et de la morphologie des fonds, augmentation de la turbidité de l’eau, effets récifs …) Des études sont aussi réalisées pour mesurer l’effet cumulés des activités.

L’installation des infrastructures s'accélérant, et les temps d’études étant longs, les équipes de recherche n’ont pas toujours le recul nécessaire pour indiquer les impacts négatifs de certaines pratiques. Les méthodes d’analyses se construisent donc en parallèle des installations. Pour prédire les impacts sur le long terme de la mise en exploitation de nouveaux sites, les scientifiques étudient les effets constatés sur les sites exploités ailleurs depuis de nombreuses années.


“ Les modèles mathématiques s’inspirent des eaux des mers du Nord où les éoliennes sont installées depuis longtemps”
― Nathalie Niquil, Chercheuse en écologie numérique (Morphologie continentale et côtière, M2C).


Les changements sur les environnements s’accélèrent avec les multiples pressions et notamment les dérèglements climatiques. Le territoire se voit transformé entraînant des prédictions parfois difficiles. “Parfois les modèles ne fonctionnent pas, c’est important d’avoir des observations concrètes.”, souligne Nathalie Niquil.

UNE STRATÉGIE NATIONALE POUR LA MER ET LE LITTORAL

Afin de répondre au mieux aux besoins des professionnel·le·s et assurer des politiques cohérentes, une stratégie nationale pour la mer et le littoral a été mise en place. Selon les articles L. 219-1 et R. 219-1 du Code de l'environnement, “Elle constitue le cadre de référence pour l’ensemble des acteurs et en premier lieu des politiques publiques concernant la mer et le littoral”.

Pour ajuster et adapter cette stratégie nationale, une concertation publique s’est déroulée sur tout le territoire en 2023 et 2024. A cette occasion, des zones ont été sélectionnées pour le développement de certaines activités, d’autres pour la mise en place d’aires marines protégées et de zones de protection forte.


“Le travail de l'État est de définir les zones d’installation des éoliennes. Parmi les critères de choix, des études bibliographiques sont faites pour éviter les zones à forts enjeux et plutôt positionner les éoliennes là où les zones de sont pas trop sensibles. Ensuite on fait l’étude d’impact pour voir s’il faut réduire ou éviter certains panaches. La démarche c’est éviter, réduire, compenser.”
― Damien Levallois. Directeur des projets éoliens (DREAL Normandie).


MUTUALISER LES OUTILS POUR PROTÉGER LE MILIEU MARIN

Face à la complexité de l’espace maritime et aux nouveaux enjeux, des groupes de travail et espaces d’échange se mettent en place sur le territoire. C’est dans cette optique que des groupements d’intérêts scientifiques (GIS) ont vu le jour en Normandie. Des scientifiques, des services de l'État, des professionnel·les et des associations y mettent en commun leurs questionnements, outils de suivis et résultats pour évaluer les sites d’activités. Ce groupe est aussi un espace pour faciliter les échanges entre les différents types de professionnel·les.

Un des premiers exemple en Normandie est le GIS SIEGMA créé en juin 2023 pour évaluer et quantifier l’impact de l’extraction de granulats marins. Les études ont notamment porté sur la résilience des milieux, la recolonisation des espèces une fois l’activité terminée.

Des intervenants face à un public dans une salle de conférence
Le programme "Voyons large !" a proposé une série de 3 rencontres-ateliers participatives pour imaginer et co-construire une vision commune du large.

Suite au succès de ce projet, d’autres groupes ont vu le jour pour répondre de manière plus globale aux enjeux des activités en Normandie avec le Groupement d’intérêt scientifique des effets cumulés en mer (GIS ECUME).


“Développer des activités économiques dans un si petit espace et dans le respect de l’environnement pose des difficultés. Pour faire de la co-activité, il faut faire des études d’impacts cumulés.”
― Laëtitia Paporé, Présidente du Comité de pilotage (GIS ECUME),
Présidente de la commission "Granulats marins" (Union nationale des producteurs de granulats, UNPG), Présidente de la commission spécialisée ressources non biologiques (Conseil maritime de Façade) et Directrice "Granulats Marins" (Heidelberg Materials France).


Tout comme son prédécesseur, le GIS ECUME a pour vocation d'être un espace d’échange entre les différents métiers maritimes (ports, extraction de granulats, pêche, éolien en mer …). Deux comités indépendants le composent : le Comité de pilotage et le Comité scientifique. Il permet à la fois de réfléchir sur les impacts cumulés des activités et de créer des lieux de partage de méthodologie entre professionnel·les.

Cette initiative suit également la dynamique lancée par l’Etat et les documents stratégiques de façade qui permettent d’orienter les mesures et les priorités pour l’espace maritime.


“L’État travaille à la planification stratégique pour co-construire une vision commune,
partagée et co-construire la façade maritime.”

― Lucas Leperlier, Chef de la mission de coordination des politiques maritimes (Direction interrégionale de la mer Manche Est - mer du Nord).


Ce groupe est un espace de mutualisation des ressources, et des résultats. Ainsi pour une même étude, il est possible d’avoir un panel d’informations et de données plus large. D’autant plus que les industriel·le·s peuvent réaliser des études sur un temps long, ce qui est plus difficile dans la recherche publique. Les études de terrains réalisées par le secteur économique viennent nourrir d’autres suivis et recherches du secteur universitaire.

Les industriel·le·s peuvent alors mieux appréhender le partage du territoire et mettre en place des synergies. Et si le clapage des sédiments pouvaient venir combler les modifications des sols dûes à l’extraction de granulats marins ? L'expertise de terrains des membres du groupe peuvent accompagner les politiques publiques dans le document stratégique de façade de la mer de la Manche.


“On décuple la recherche quand on met tout le monde sur le terrain. Plus il y a de contributions, et plus cela aide la recherche. On milite et on sensibilise aux sciences participatives.”
― Bruno Eloi, Bénévole (Groupe mammalogique normand et Association pour l’étude et la conservation des Sélaciens).


Face à la multiplication des usages et aux incertitudes qui pèsent sur l’avenir de la Manche, la connaissance fine de l’état de son environnement devient un enjeu central. C’est là que les sciences participatives trouvent toute leur place. Portées par des associations naturalistes comme le Groupe mammalogique normand (GMN), elles associent citoyen·ne·s, pêcheur·se·s, plaisancier·e·s et chercheur·se·s dans une dynamique commune : observer, collecter et partager des données. Au-delà de la richesse scientifique, ces démarches contribuent à sensibiliser chacun à la fragilité du milieu marin et à renforcer une gouvernance plus collective. Un pas essentiel pour mieux protéger la Manche aujourd’hui, et par extension, l’ensemble de notre environnement demain.

Le cycle de rencontres participatives “Voyons large” est porté par le groupement d’intérêt scientifique “Effets cumulés en mer” (ECUME) et le Centre de recherche “Risques et vulnérabilités” (CERREV), en collaboration avec Le Dôme. Il bénéficie du soutien de l’État dans le cadre du Fonds d’intervention maritime (FIM) opéré par la Direction générale des Affaires maritimes, de la Pêche et de l'Aquaculture (DGAMPA). Il est soutenu par la Fondation de France.

Crédits : Le Dôme/F. Boissel (DR).


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