Hassiba Sadoune – Penser l’agilité au croisement des mondes
Publié par Marie Emilie Frederique Mwakondet, le 17 juin 2025 110
Entre thèse et poursuite de soi, Hassiba Sadoune navigue à travers Caen et la région parisienne, conciliant la rigueur du design organisationnel et les tumultes du quotidien d'une jeune mère. Originaire de la Petite Kabylie, elle incarne cette génération de chercheuses qui fait du lien entre parcours professionnel, réflexion théorique et trajectoires personnelles, un moteur de transformation. Les difficultés, Hassiba s’en sert comme force pour puiser en elle-même.
Une trajectoire singulière, entre expertise et quête de sens
Avant la recherche, il y a eu l’entreprise. Diplômée à l’IAE Caen , Hassiba entame son parcours dans le secteur de l’audit et de la certification, un monde de normes, de procédures et de terrain. Un monde qu’elle connaît bien, mais qu’elle choisit un jour de quitter, portée par une curiosité plus vaste :
« Ce n’est pas tant une mutation du retail qui m’a attirée, mais les transformations technologiques, et les défis qu’elles posent aux organisations. »
C’est en France, après un bouleversement personnel qu’elle prend une grande décision :
« …après le décès de ma mère, j’ai ressenti le besoin d’ouvrir une nouvelle page, dans un autre cadre, avec un nouveau souffle. C’est dans cette dynamique que s’est inscrit mon projet doctoral. » celle d’un doctorat en sciences de gestion, porté par une volonté profonde de comprendre, d’expliquer, mais aussi de proposer.
Une recherche à l’écoute des mutations du réel
Sa thèse au sein du laboratoire NIMEC interroge un monde en pleine recomposition : celui des entreprises "phygitales", ces structures qui articulent le physique et le digital dans leur fonctionnement. Comment les modèles organisationnels peuvent-ils s’adapter à cette complexité nouvelle ? Hassiba explore ces questions à travers l’enrichissement du modèle en étoile de Galbraith, en y intégrant des notions contemporaines comme l’agilité ou les systèmes d’information.
Sa méthodologie repose sur une analyse de cas , portant sur trois enseignes françaises majeures. À partir d’entretiens, d’analyses de contenus et d’outils numériques, elle construit une lecture croisée des dynamiques organisationnelles. Sa démarche se veut ancrée, rigoureuse, mais aussi orientée vers l’action : « Je veux que mes travaux soient utiles, pas seulement aux chercheurs, mais aussi aux praticiens. »
“La thèse m’a donné un cadre pour penser … C’est une traversée autant intérieure qu’intellectuelle.”
Hassiba a fait l’expérience des turbulences que peut connaître une thèse : stress face aux échéances, doutes sur l’avancement, et désaccords parfois déstabilisants. Mais de tout ceci, Hassiba apprend à prendre du recul et grâce à sa thèse élargir son regard sur notre société, les injonctions qu’elles nous imposent et en parallèle, elle entame un travail personnel sur les plans psychologiques, émotionnels et humains :
« La thèse m’a donné un cadre pour penser, mais elle m’a surtout confrontée à moi-même. C’est une traversée autant intérieure qu’intellectuelle. »
Si la thèse est une aventure saccadée, elle est aussi pour Hassiba une traversée intime. Devenue mère en cours de parcours, elle parle avec une lucidité émouvante de ce moment charnière :
« J’ai compris que dans la vie d’une femme, ce n’est jamais “le bon moment”, mais que chaque moment est porteur de sens. C’est une épreuve qui m’a appris à lâcher prise et à faire confiance à un ordre plus grand que soi. »
Pause, doutes, fatigue, solitude… mais aussi résilience, recentrage, et une force tranquille qui l’a aidée à tenir.
« Être mère en fin de thèse est exigeant, mais c’est aussi une grande source d’ancrage. »
Le doctorat devient alors un espace de transformation personnelle : « Il m’a obligé à prendre du recul, à questionner nos rythmes, nos injonctions, nos logiques absurdes. C’est une confrontation à soi, autant qu’une recherche. » (rajout)
De l’expérience à la vision
Le fil rouge de sa recherche s’est tissé lentement, de mémoire en mémoire, de l’Algérie à la France : veille stratégique, marketing digital, coordination des canaux, puis enfin agilité organisationnelle. Une évolution organique, nourrie d’observations concrètes : « J’étais frappée par l’écart entre les investissements des entreprises et la difficulté à mobiliser les collaborateurs, à faire vivre les processus. »
À travers sa thèse, Hassiba ne se contente pas de penser les structures : elle interroge la place de l’humain dans les systèmes. Elle imagine des organisations plus agiles, mais aussi plus humaines, plus éthiques. « L’imaginaire, c’est important. Même dans une démarche empirique, il faut garder la capacité à projeter des possibles. »
Un futur entre recherche, transmission et engagement
Et après ? Elle envisage la recherche bien sûr, mais pas dans sa tour d’ivoire. Enseignement, interdisciplinarité, interface avec le monde professionnel : son projet est multiple. Son rêve ? Créer un espace hybride, à mi-chemin entre laboratoire d’idées et centre d’action stratégique, pour accompagner les entreprises dans leurs mutations, sans renoncer aux valeurs humaines.
Mais avant cela, il y a un cap à franchir. La thèse, toujours. Avec sa charge, ses combats, ses lenteurs. « Si je parviens à boucler cette thèse, malgré les obstacles, l’auto-financement, les défis administratifs, les responsabilités familiales… alors oui, ce sera une vraie fierté. Ce sera le signe que j’ai tenu bon, que je n’ai pas abandonné. »