La mer de la Manche, un territoire sensible
Publié par Le Dôme, le 9 septembre 2025 540
Alors que l’océan mondial représente 70% de la surface du globe, il est aujourd’hui au cœur de nouveaux enjeux énergétiques, politiques, économiques et environnementaux. Entre pêche, extraction de granulats, transports maritimes, activités de loisirs, tourisme, production énergétique, les activités humaines ne cessent de se multiplier et de se déployer sur le territoire maritime. Comment, dans ce contexte, partager équitablement l’espace de la Manche tout en préservant l’équilibre fragile de son écosystème face à cette intensification des usages ?
Le développement des activités humaines en mer repose sur des conditions biologiques, géologiques et géographiques bien particulières. La mer de la Manche rassemble précisément l’ensemble de ces caractéristiques, ce qui en fait un espace stratégique et de fort intérêt pour de nombreux usages. Comment les territoires s’adaptent-ils à l’arrivée de nouvelles activités ? Comment déterminer l’impact des activités humaines alors que l’environnement connaît de multiples pressions et des changements climatiques ?
LA MANCHE, UNE MER À FORT INTÉRÊT
Partagée entre la France et la Grande-Bretagne, la Manche mesure environ 530 kilomètres d’ouest en est, sa largeur est de 176 km à son extrémité ouest et de 41 kilomètres à son extrémité est. Elle présente des côtes aux profils sédimentaires variés et possède une profondeur très faible par rapport à d’autres mers : 174 mètres de profondeur au maximum et 50 mètres en moyenne, à comparer aux 5 093 mètres de profondeur maximale en mer Méditerranée ou aux 8 605 mètres de l’océan Atlantique.
“L’intérêt de la Manche : la profondeur et les vents propices à l’installation des éoliennes offshore.”
― Emma Quintard, Cheffe de projet environnement éolien offshore (EDF Renouvelables).
Ces caractéristiques facilitent l’implantation de structures maritimes telles que les éoliennes offshore, permettent aux chalutiers d’accéder rapidement à certaines ressources vivantes des fonds, sont propices à la conchyliculture [culture des coquillages tels que les huîtres ou les moules] et facilitent les opérations d’extraction de granulats.
La Manche est soumise à des marées importantes. Elle est également un couloir de courants : les courants résiduels moyens, principalement dirigés de l’Atlantique vers la mer du Nord, mais que le jeu des marées et des vents peuvent inverser, et un vent de dominance ouest/sud-ouest avec de fréquents épisodes est/nord-est, notamment au printemps.
DES ACTIVITÉS QUI IMPACTENT LES ÉQUILIBRES NATURELS
Les caractéristiques biologiques, physiques et géographiques font de la mer de la Manche, une zone à fort intérêt. Mais le développement des activités n’est pas neutre et vient impacter les équilibres naturels, on parle alors d'anthropisation.
“La Manche est l'un des deux écosystèmes les plus anthropisés avec la mer de Chine et du Japon.”
― Jean-Claude Dauvin, Enseignant-chercheur émérite (Morphologie continentale et côtière, M2C)
et Président du Comité scientifique (GIS Ecume).
La Manche voit transiter 82% des navires de commerce qui circulent au niveau mondial, ce qui la positionne parmi les territoires mondiaux avec les plus forts trafics. Cette activité nécessite la présence de ports importants pour acheminer les marchandises et transporter des voyageur·se·s. Pour cela, les chenaux de navigation et les ports doivent être entretenus par dragage [retrait des sédiments accumulés au fond des ports et de leur chenaux d'accès] et clapage [déversement en mer des sédiments de dragage] pour faciliter la traversée des bateaux.

L’extraction de granulats marins pour le secteur de la construction est une autre activité importante, tout comme la pêche artisanale, la pêche industrielle ou la conchyliculture. La Manche accueille aussi de nombreuses installations nucléaires et de défense en mer. Ces activités viennent répondre à un besoin au niveau du littoral et des villes côtières.
“Les câbles sous-marins transitent la moitié du parc éolien en mer.
45% de la consommation des habitant·e·s du Calvados vont passer par ces câbles”.
― Jacques Frémeaux, Ancien Directeur du raccordement du parc éolien en mer du Calvados et responsable concertation (RTE).
L’anthropisation de la Manche amène les scientifiques, associations, collectivités publiques et entreprises à se questionner sur leurs impacts et sur les mesures à mettre en place pour préserver cet espace. Mais les études scientifiques doivent prendre en compte les autres facteurs et pressions qui s’exercent sur l’environnement.
UN TERRITOIRE SOUMIS AUX DÉRÈGLEMENTS CLIMATIQUES ET AUX MULTIPLES PRESSIONS
La mer de la Manche est particulièrement soumise aux dérèglements climatiques notamment avec une tropicalisation des eaux.
“Le bar remplace la morue (en tant que prédateurs), les sardines (eaux tempérées et chaudes)
sont de plus en plus nombreuses et les harengs (eaux plus froides) le sont de moins en moins.”
― Jean Claude Dauvin.
Ces modifications climatiques pourraient être à l’origine de la (re)colonisation de certaines espèces, notamment le phoque gris. “Au niveau des phoques, notamment le gris, il est en nette augmentation sur la côte du Cotentin", explique Bruno Eloi, Bénévole au sein Groupe mammalogique normand (GMN) et de l'Association pour l’étude et la conservation des Sélaciens (AECS). "Les espèces migrent, peut-être à cause du réchauffement climatique, mais nous n’avons pas encore de démonstration scientifique.”
Les effets des activités humaines et du changement climatique semblent aujourd’hui indissociables, tant il est compliqué d’associer les causes et les conséquences. En effet, le “forçage climatique”, c’est à dire les perturbations climatiques d’origine extérieure au système climatique, est composé d’un forçage naturel (activité solaire et activité volcanique pour l’essentiel) et d’un forçage anthropique (principalement caractérisé par les émissions de gaz à effets de serre issues des activités humaines).
“Le milieu marin est complexe. C’est un défi d’identifier précisément ce qui relève des activités humaines, de comprendre les effets cascades, les différentes échelles sur lesquelles reposent les différentes analyses. Pour comprendre les impacts d’une activité particulière, il faut prendre en compte une échelle locale d’observation mais aussi une échelle plus large."
― Jean-Claude Dauvin.
VERS UN BON ÉTAT ÉCOLOGIQUE DES EAUX ?
Face à ces multiples pressions, des mesures sont mises en place pour assurer la protection de la biodiversité et assurer un environnement durable.

Depuis quelques années, des définitions émergent pour parler “du bon état écologique”. Ce concept est issu des débats qui ont eu lieu au Parlement européen et a été retranscrit dans la législation des États membres de l’Union Européenne.
En France, l'article R. 219-6 du Code de l'environnement définit le bon état écologique des eaux marines “tel que celles-ci conservent la diversité écologique et le dynamisme d'océans et de mers qui soient propres, en bon état sanitaire et productifs, et que l'utilisation du milieu marin soit durable, sauvegardant ainsi le potentiel de celui-ci aux fins des utilisations et activités des générations actuelles et à venir”. Cet article décrit onze “descripteurs”, c'est-à-dire onze groupes d’indicateurs ou critères relatifs à des domaines d’étude (espèces commerciales, espèces non-indigènes, changements hydrographiques, contaminants, …).
“On n’est pas encore dans un bon état écologique mais on essaye de faire au mieux et de monter des crans étape par étape. La directive date de 2008, extrêmement récente dans l’histoire des mesures de protection.”
― Lucas Leperlier, Chef de la mission de coordination des politiques maritimes (Direction interrégionale de la mer Manche Est - mer du Nord).
Les acteurs et actrices du milieu maritime s’accordent également sur le fait que l’état écologique des mers dépend de ce qui se met en place à terre. Si on regarde au niveau des pollutions plastiques, 80 % des déchets retrouvés en mer seraient d'origine terrestre. Il faudrait donc aussi pouvoir prendre en compte l’impact des activités terrestres sur l’état de la mer.

Les environnements de la Manche sont donc très favorables au développement de plusieurs activités. Mais ces atouts posent aujourd’hui problème dans la gestion du territoire maritime et l’articulation des activités entre elles.
Face à ces nouveaux défis, des groupes de travail et de partage se mettent en place, comme le Groupement d’intérêt scientifique des effets cumulés en mer (GIS ECUME). Des scientifiques, industriel·le·s, associations et administrations imaginent et échangent sur des pratiques, mesures et méthodes dans le but de faciliter la répartition des activités en mer et d’assurer une stabilité écologique et environnementale.
Le cycle de rencontres participatives “Voyons large” est porté par le groupement d’intérêt scientifique “Effets cumulés en mer” (ECUME) et le Centre de recherche “Risques et vulnérabilités” (CERREV), en collaboration avec Le Dôme. Il bénéficie du soutien de l’État dans le cadre du Fonds d’intervention maritime (FIM) opéré par la Direction générale des Affaires maritimes, de la Pêche et de l'Aquaculture (DGAMPA). Il est soutenu par la Fondation de France.
Crédits : Le Dôme/F. Boissel (DR).
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