Le végétal en ville, de l'espace vert à l'agriculture urbaine

Publié par Marc Legras, le 23 octobre 2023   380

Dans un contexte de changement climatique, d'appauvrissement de la biodiversité et d'aspiration
à une plus grande proximité quotidienne avec la nature, de séquestration du carbone, les villes font face à l'enjeu du végétal. Minéraliser pour réduire les couts d'entretien, végétaliser et laisser la place à une part à la nature et à sa complexité...?


Levier de résilience, d'attractivité, d'aménités et de bien-être, la (re)végétalisation des villes  constitue davantage une pratique à ancrer dans les esprits et les politiques urbaines qu'une difficulté technique ou financière.  les bienfaits du végétal et les actions qui peuvent être mises en oeuvre aisément par les collectivités pour en faire un allié d'avenir.

Le végétal : source de résilience des villes. Les bienfaits de la présence du végétal en milieu urbain, dense, minéral et largement imperméable, ne sont plus à démontrer. Nous les percevons, ou plutôt nous en ressentons le manque quand le végétal est absent. Le «besoin» des citoyens pour un retour de nature en ville s’intensifie, d’autant plus que d’ici 2050, 75% de la population mondiale vivra en zone urbaine.
Ces bienfaits sont associés aux services écosystémiques (services rendus par la nature à l’homme) générés par le végétal.
Bien connus de nos ancêtres, ces bénéfices ont permis au végétal de se faire une place dans
nos villes au fil des millénaires.
Cet héritage de l’usage du végétal «domestiqué» doit aujourd’hui répondre à de nouveaux enjeux : favoriser le retour et le maintien de la biodiversité en ville, optimiser la ressource en eau, lutter contre le risque inondation et réduire les effets des îlots de chaleur urbains. 

L'urbanisme végétal

Ville du Moyen-âge essentiellement minérale, aux petites rues étroites à l’intérieur des fortifications. Le végétal est surtout présent dans les jardins privés des nobles et des
ecclésiastiques. L’arbre est introduit progressivement le long des fortifications, sur la «place du village», près des églises et sur les berges.
Ville dont la densité «explose» et qui doit s’étendre au-delà des fortifications. Dès le XVIIe siècle, on voit apparaître l’arbre d’alignement sur les mails et les cours, véritables jardins de promenade et lieux de loisirs. L’urbanisme du XVIIIe et XIXe siècle, avec sa vision hygiéniste du «droit au végétal pour tous», incite à la création de parcs publics et de squares de proximité, et l’aménagement des bois en promenade. Le végétal revêt alors une dimension sociale (parcs pour faire rencontrer les gens), sanitaire (épuration de l’air pollué des villes) et esthétique (essences exotiques pour «fleurir» et embellir).
Développement au XXe siècle d’un urbanisme de cités et de grands ensembles avec une nouvelle trame paysagère : grands parcs, coulées vertes et espaces verts périphériques.
Néanmoins, la considération de l’arbre urbain est fonction des aménagements bâtis et des besoins du citadin.
L’approche fonctionnaliste renvoie l’arbre au simple rang d’élément paysager et favorise le «tout automobile». La perte d’expertise arboricole se traduit par des pratiques peu respectueuses (exemple des tailles sévères facilitées par l’invention de la tronçonneuse), créant des dommages irréversibles et l’émergence de maladies (ex. : chancre coloré du Platane).
La prise de conscience environnementale dans les années 1980 amène à reconsidérer les bienfaits du végétal en ville dans une réflexion d’aménagements durables. Des plans massifs de replantation d’arbres sont alors mis en œuvre. Mais le vieillissement prématuré de ces «nouveaux» arbres met en relief le décalage entre les pratiques de plantation et de gestion et les besoins réels des arbres (on redécouvre que l’arbre est un être vivant et sensible et qu’il a notamment besoin d’un sol vivant et perméable).
De nouvelles réflexions amènent alors au renouveau de l’urbanisme végétal vers un urbanisme d’écologie.

Les bienfaits du végétal

Qualité de l’air, confort thermique, régulation des eaux pluviales, développement de la biodiversité... Par sa présence, le végétal fournit de nombreux services écologiques.
Mais ses effets bénéfiques sont plus vastes : le végétal joue aussi un rôle important en matière culturelle et sociale et également économique et financière.
Ces effets sont souvent économiquement sous évalués. Pourtant de nombreuses études ont permis de les quantifier pour mieux les valoriser. 

Services écologiques
• Qualité de l’air grâce à la fixation sur les feuilles des polluants gazeux (dioxyde de carbone, dioxyde de soufre, monoxyde de carbone, ozone…), des particules de métaux lourds (plomb, cadmium, manganèse…) et des pollens.
Les végétaux, en particulier les arbres, ont également une forte capacité de séquestration carbone liée à leur processus de photosynthèse.
• Régulation et filtration des eaux pluviales grâce à l’interception de l’eau par les feuilles et les branchages (diminution de l’effet splash et atténuation du ruissellement des eaux de pluie) et par l’absorption de certains polluants par l'intermédiaire des racines des végétaux.
• Maintien des sols en place grâce aux systèmes racinaires des végétaux (et particulièrement ceux des arbres), notamment dans les pentes, limitant ainsi l'érosion des sols.
• Confort thermique avec deux processus propres au végétal : le phénomène d’évapotranspiration des plantes (absorption de l’eau présente dans le sol par les racines puis rejet dans l’air sous forme gazeuse par les stomates* des feuilles) ayant un effet «rafraîchissant» sur l’air ambiant, et l’effet d’ombrage (filtration des rayons UV) limitant la formation d’îlots de chaleur urbain.
* petite ouverture située sur l’épiderme de la tige ou de la feuille, permettant les échanges gazeux
avec le milieu extérieur .
• Maintien de la biodiversité en ville en servant de «zone refuge» (trame verte) aux espèces animales et végétales (essences spontanées notamment).
L’arbre, de par ses grandes dimensions et son cycle de vie, accueille une multitude d’espèces animales (insectes, oiseaux, petits mammifères) et forme à lui seul un écosystème.

Services culturels et sociaux
Bien-être et santé : la couleur verte des feuilles et certains composés organiques volatils (phytoncides) produits par les arbres diminuent la pression artérielle des personnes, et par conséquent leur niveau de stress. La beauté abstraite de cette «nature» participe également à l’évasion de l’esprit et contribue au rétablissement de la fatigue mentale. Améliorant la beauté des
lieux, les végétaux favorisent la pratique d’activités physiques. Leur présence permet ainsi de lutter contre les maladies comme l’obésité, la dépression, les troubles de l’anxiété ou encore le risque d’AVC et les migraines.
Enfin, dans certaines configurations (talus végétalisés par exemple), ils peuvent être utilisés pour atténuer les bruits de la ville et particulièrement ceux issus de la circulation automobile.
Mixité sociale et sécurité : les espaces végétalisés et notamment arborés constituent des espaces de détente et de rencontres. Ils participent ainsi au lien social et indirectement (par la surveillance des lieux induite par les visiteurs) à la diminution des actes de délinquance ou d’incivilités : «Les végétaux attirent dehors les habitants, qui se rencontrent et surveillent les abords. […] les jardins décontractent, les choses se passent mieux. Les troncs d’arbres ne procurent pas de cachette aux délinquants. Enfin l’aspect soigné des parcs et des pelouses signale une vigilance qui décourage cambrioleurs et agressions» (Marie-Paule Nougaret, Journaliste spécialisée en écologie et en botanique).
Sentiment d’appartenance et réappropriation de l’espace public
: certains espaces verts comme les pieds d'arbre végétalisés ou les carrés de potager dans une rue (mis en place dans un cadre de végétalisation participative par les habitants) favorisent le sentiment d’appartenance et l’engagement individuel à respecter et à veiller au bon entretien des lieux.
Éducation à l’environnement : les changements au fil des saisons et la biodiversité présente dans les espaces végétalisés incitent à l’observation du «vivant», notamment par les enfants. Des journées de sensibilisation peuvent valoriser le rôle «bienfaiteur» de ces espaces et enrichir les connaissances des citadins sur les «bonnes pratiques» pour planter et entretenir durablement
cette part de nature en ville. 

Services économiques
Réduction des dépenses énergétiques :
l’interception du vent (notamment du Mistral) par les feuillages limite la perte d’énergie des bâtiments et par conséquent les besoins en chauffage. En période estivale, l'effet rafraîchissant d'un arbre adulte (ombrage + évapotranspiration) peut diminuer «jusqu'à 30% les besoins en climatisation» des maisons et des édifices à sa proximité (source: Michigan State University, Urban Forestry).

Réduction des dépenses liées au traitement des eaux pluviales grâce à la limitation des ruissellements, à l’infiltration des eaux sur place et à la filtration des polluants, présents dans l’air et sur les revêtements urbains, se retrouvant concentrés dans les eaux de pluie (souvent appelées «pluies acides»).
Réduction des dépenses médicales relative à l’amélioration de l’état de santé et à la prévention de certaines maladies (diabète, obésité, mal de dos, dépression...). En Angleterre, des chercheurs de Leicester ont montré que le «taux de prévalence du diabète de type 2 est inversement proportionnel à la quantité de parcs ou jardins dans le voisinage» (source : FAO.org/forestry/urbanforestry).
Valorisation du patrimoine immobilier : les espaces végétalisés et les arbres améliorant le cadre de vie et attirant des habitants, ils représentent ainsi une aménité paysagère. Des études ont démontré qu’un espace vert à 100 mètres de son habitation peut représenter jusqu’à 10 000 € de plus-values* (source : Laïlle et al., 2013). *suivant le contexte et dans 41% des cas.
Production de ressources : certains végétaux fournissent des fruits consommables et des substances chimiques aux vertus médicinales (exemple de l’aspirine issue de l’écorce du saule, utilisée pour la fabrication du médicament). Les arbres produisent en outre du bois pouvant servir de bois d’énergie, de bois d’œuvre ou encore de paillage (Bois Raméal Fragmenté). Les déchets des autres végétaux peuvent aussi être valorisés comme biodéchets.
Contribution à l’économie locale : les végétaux favorisant le sentiment de bien-être et améliorant la qualité du cadre de vie, les habitants et les «promeneurs» prennent davantage de temps à déambuler et favorisent les achats de proximité. Des études scientifiques et les expériences démontrent que les arbres participent à la redynamisation des commerces à travers notamment de l’augmentation de la durée du shopping. En outre, l’entretien des espaces verts favorise la création d’emplois dans le secteur du paysage : dans le cadre d’un investissement de 200 000€ par une collectivité dans le secteur du paysage, il se crée 3,5 fois plus d’emplois que dans les autres secteurs de l’économie (source : Observatoire des villes vertes, 2016).