La Presqu'île In Situ

Publié par Presqu'en Fabrique, le 1 mars 2022   820

Après avoir investi les blocs bétons en 2021, le collectif Presqu'en Fabrique explore la Presqu'île de Caen pour imaginer avec les publics une signalétique urbaine éphémère et sensible.

Depuis 2020, les étudiant.e.s du Campus des Transitions et de l’École de Management de Normandie, accompagné.e.s par Le Dôme et Le Pavillon, invitent les publics à s'approprier des espaces par l'imaginaire, le ludique et l'incongru.

Le lundi 21 février 2022, la deuxième moitié de Presqu’en Fabrique, constituée des étudiant.e.s du master In Situ du campus des transitions, a pu prendre connaissance des travaux réalisés par les étudiant.e.s de l’EM Normandie, et continuer sur leur lancée en entreprenant de se perdre sur le territoire de la Presqu’île de Caen pour mieux s’y retrouver.

UN MONDE À PART

Quand les étudiant.e.s ont pris connaissance des cartes réalisées par leurs prédécesseur.se.s, le besoin de partir découvrir le territoire par eux-mêmes s’est très vite fait sentir. Malgré les rafales de vent et les températures dignes d’un mois de février en Normandie, cinq groupes sont donc partis du Dôme pour déambuler sur cette Presqu’île avec chacun une thématique en tête, inspirées par les idées laissées par le reste du collectif lors de la dernière séance. Chacun s’est laissé guider par les couleurs, les traces du temps et les mouvements, l’informel/l’illégal, le visible et l’invisible, ou l’inaccessible.

Au fil de leurs parcours, les étudiant.e.s ont découvert sur la Presqu’île un monde à part, symbole d’une modernité industrielle qui fait aujourd’hui figure de passé encombrant. L’espace semble être coincé dans un entre-deux étrange, entre les activités portuaires polluantes de la fin du 20e siècle, et l’attente d’un quartier neuf et intégré au reste de la ville.

Une succession de couches historiques est visible au sens propre sur le sol : les pavés sont recouverts partiellement de béton, les rails enfouis refont parfois surface et la végétation tente de reconquérir le gris des murs et des rues. Les couleurs témoignent elles-aussi de l’histoire du lieu : si le gris et le marron dominent très largement le paysage, des touches de couleurs primaires vives viennent régulièrement marquer les rares passants. Ce sont des couleurs primaires (rouge, jaune et bleu) dont les nuances rappellent le monde des chantiers et des usines : jaune signalisation, rouille, vert de gris, bleu de travail, etc…

Toutefois, cet entre-deux est devenu un espace de vie pour des activités artistiques et sociales, ainsi qu’informelles voire illégales. Les différents groupes ont recensé les fresques qui jalonnent le territoire, mais aussi les bâtiments des restos du cœur ou de la boussole (accueil des migrants), les squats, les dépôts sauvages, les camionnettes de prostituées, ou les pylônes électriques, au fur et à mesure de leur déambulation.

Cette dernière n’a pas été une promenade de santé, en raison de l’absence de trottoir, des immenses flaques qui stagnaient sur les routes, des chemins parfois barrés, des barrières présentes sur les quais ou de la vitesse des automobilistes clairement peu habitués à croiser des piétons sur leurs itinéraires.

De retour après ce diagnostic urbain semé d’embuches, les étudiant.e.s ont entrepris de documenter leurs parcours à travers des cartes, des photos légendées, des nuanciers ou des schémas, et de partager leurs impressions sur ce territoire difficilement appropriable.

QUESTION DE LÉGITIMITÉ

Mais les étudiant.e.s sont-ils réellement légitimes pour s'approprier ce territoire ? Après avoir parcouru la Presqu'île, les discussions se sont très vites orientées autour du rôle de ce projet. Doit-il répondre aux besoins des usagers actuels de la Presqu'île ? Des futurs habitants ? De potentiels nouveaux promeneurs ? Doit-il répondre à un besoin, pour commencer ? Doit-il faire participer les populations de la Presqu'île ? En quoi des étudiant.e.s de Sciences Po et de l'EMN sont-ils légitimes à modifier un territoire qui n'est pas le leur et dont ils ne maitrisent pas les codes ? 

Le principal débat a porté la position du projet par rapport aux migrants et aux prostituées qui habitent la Presqu'île. Ce sont des populations que les membres du collectif ne connaissent pas, dont ils et elles ne connaissent pas les besoins ou les envies. La possibilité de les inviter à venir s'exprimer sur le sujet a été évoquée, mais il paraissait difficile d'impliquer des personnes qui par nature ne s'expriment jamais ou peu. De plus, le projet d'aménagement de la Presqu'île va sans douter amener ces populations à sortir de cet espace, ou en tous cas modifier leurs usages. Les étudiant.e.s ont donc pensé qu'il pourrait être perçu comme hypocrite de les impliquer à ce stade du projet alors même qu'ils et elles n'en veulent peut-être pas. 

Ce sont autant de questions qui ont guidé les étudiant.e.s pour la suite de la semaine. Des pistes ont été évoquées pour dépasser ces inquiétudes, notamment celles de ne pas faire venir les usagers actuels de la Presqu'île et de ne pas chercher à les visibiliser, mais plutôt de proposer un projet capable de s'adapter et d'évoluer. Dans tous les cas, se sont des questionnements que le collectif souhaite garder en mémoire, pour que le projet ne soit pas totalement hors-sol de son territoire et de ses usagers. 

Les prochaines étapes du projet : atelier Signalétique urbaine participatif le samedi 26/02 au Dôme (n'hésitez pas à venir participer!!), tri des propositions, vote, et démarrage du prototypage par les étudiant.e.s de l'EMN lors de leur prochaine venue au Dôme. 

Crédits photos : Le collectif Presqu'en Fabrique