Dynam'eau, Prix Musée Schlumberger 2014

Publié par Guillaume Dupuy, le 10 avril 2014   1.8k

Jamais les sciences humaines et sociales n'avaient été récompensées dans le cadre du concours Têtes chercheuses, c'est maintenant chose faite ! Réunis à la fin du mois de mars à Relais d'sciences, les membres du jury ont décerné le Prix Musée Schlumberger 2014 au laboratoire "Géographie physique et Environnement" (LETG-GEOPHEN) pour son projet intitulé "Dynam'eau".

Bonjour à tous et félicitations ! C’est donc votre laboratoire, Géophen, qui est le lauréat du Prix Musée Schlumberger 2014. Pouvez-vous nous le présenter ?

Mathieu : Le GEOPHEN, pour “Géographie physique et Environnement”, est l’un des 3 laboratoires de l’UFR de Géographie de l’Université de Caen Basse-Normandie. Depuis 1996, il est rattaché à l’unité “Littoral, Environnement, Télédétection, Géomatique” (UMR CNRS 6554) qui compte également des laboratoires à Angers (LEESA), Brest (Géomer), Nantes (Geolittomer) et Rennes (Costel). Les recherches effectuées à GEOPHEN s’intéressent à la relation Homme/Milieu. Nous cherchons à comprendre l’impact des sociétés sur l’environnement, et vice-versa.

Anne-Julia : La question de l’eau, en milieu littoral ou continental, est également centrale pour le laboratoire.

Mathieu : Notre travail est également orienté sur l’innovation en méthodes de cartographie...

Anne-Julia : …et de métrologie de terrain !

Combien de personnes travaillent dans ce laboratoire ?

Robert : Au total, le laboratoire compte 20 personnes. L’unité LETG un peu plus de 150 personnes dont un tiers de jeunes chercheurs.

C’est donc une grande partie de l’équipe qui est impliquée dans le projet “Dynam’eau”.

Mathieu : Oui. Les 7 jeunes chercheurs du laboratoire participent au projet : Axel Beauchamp, Arthur Glais, Aline Garnier, Augustin Marone, Thibaut Preux, Romain Reulier et moi-même, Mathieu Fressard. Nous sommes soutenus par Laëtitia Birée, notre technicienne chimiste, et Robert Davidson, l’ingénieur d’études du laboratoire. 3 enseignants-chercheurs prennent aussi part au projet : Jean-Michel Cador, Anne-Julia Rollet et Olivier Maquaire, qui est également directeur du laboratoire.

Comment vous est venue l’idée de “Dynam’eau” ?

Mathieu : On a découvert sur Internet la “Augmented Reality Sandbox” imaginée par l’Université de Californie (Davis).

Romain : C’est une version moderne du bac à sable capable d’afficher en temps réel les changements de niveaux grâce à un détecteur Kinect® et un vidéoprojecteur.

Mathieu : Ce dispositif nous a semblé intéressant, on a tout de suite eu envie de se l’approprier pour mieux illustrer nos thématiques de recherche.

Parce que vous ne parvenez pas à parler de vos recherches ?

Mathieu : Quand on veut communiquer avec le grand public, il y a toujours des problèmes matériels : comment peut-on faire pour illustrer les interactions entre le ruissellement de l’eau et l’occupation des sols ?

Arthur : Oui. À partir du moment où l’on parle de quelque chose de dynamique, comme l’évolution de paysages ou de cours d’eau, on a toujours beaucoup plus de mal à passer notre message, à conserver l’attention du public… même quand il s’agit de nos propres étudiants !

Anne-Julia : Pour moi, en tant qu’enseignant-chercheur, il y a aussi dans ce choix une très forte volonté pédagogique de dépoussiérer la carte topographique.

Dépoussiérer la carte topographique ?

Anne-Julia : C’est notre outil de base pour l’initiation des étudiants de première année à la lecture et à la compréhension du relief. Jusqu'à maintenant, nous utilisons principalement l'exercice des courbes de niveau qui reste relativement abstrait pour les étudiants, demande un certain temps d'apprentissage et n'est pas toujours bien assimilé. Là, nous avons l’opportunité d’avoir la 3D et la projection des courbes pour qu’ils puissent réellement se rendre compte de ce qu’est ce relief développé. Cette incitation pédagogique est vraiment très forte, que ce soit en terme de compréhension du matériel mais aussi d’image pour faire comprendre que nous ne sommes pas des géographes poussiéreux.

Thibaut : C’est aussi important vis-à-vis du grand public parce que lorsque l’on dit que nous sommes géographes, les gens ne comprennent pas, ils s’imaginent qu’on passe notre temps à apprendre les capitales du monde par cœur…

Anne-Julia : ...et les préfectures !

Thibaut : La vision publique de la géographie est beaucoup trop associée aux enseignements qui sont dispensés au collège et au lycée. Ce projet va aussi nous permettre d’expliquer que le géographe travaille sur le lien que les sociétés entretiennent avec leur environnement en l’illustrant de manière concrète.

Romain : Notre discipline est finalement assez méconnue alors qu’elle touche à des sujets d’actualité.

Justement, présenter vos recherches au public est une pratique courante à Géophen ?

Mathieu : Le laboratoire participe régulièrement à la Fête de la Science, aux portes ouvertes de l’Université, aux Journées européennes du Patrimoine et au Salon de l’étudiant. Les jeunes chercheurs interviennent également chaque année dans les collèges et lycées de la région avec l’Atelier du chercheur [Géophen est le seul laboratoire dont l’ensemble des doctorants ont intégré les “Missions doctorales” développées par Relais d’sciences, ndlr].

Anne-Julia : L’équipe est aussi régulièrement sollicitée par les médias pour leurs sujets sur les risques naturels comme les glissements de terrain, les crues et les inondations ou les séismes.

Géophen est donc une équipe très motivée. Parlons un peu de “Dynam’eau” maintenant. En quoi consiste ce projet ?

Mathieu : La “Sandbox” imaginée par l’Université de Californie n’intègre pour le moment que des problématiques de relief. Nous voulons y mettre de l’humain. Intégrer l’impact que l’Homme a sur le paysage en développant différents modèles d’occupation des sols (forêt, culture, prairie, zone urbaine, …) pour montrer les conséquences que cela a sur le ruissellement des eaux.

Romain : En hydrologie, il existe ce qu’on appelle le coefficient d’infiltration. Ce coefficient varie en fonction de la nature du sol. En gros, l’eau de pluie ne va pas faire le même parcours si elle tombe sur un parking ou sur une forêt avec une épaisse couverture végétale. C’est un sujet assez complexe à aborder alors plutôt que de l’expliquer, le modèle numérique va nous permettre de le montrer au public de façon très dynamique.

Arthur : Les spectateurs vont voir que l’eau n’a pas un parcours linéaire en fonction des configurations du terrain. Cela va nous permettre de créer le dialogue et d’aborder des questions comme le risque d’inondation, par exemple.

Axel : Le paysage sera vierge au début des démonstrations et le public sera invité à dessiner dans le sable. Ce paysage sera soumis au ruissellement et on pourra voir les résultats. Je trouve que c’est très ludique. Le public va pouvoir manipuler et, nous pourrons les guider et commenter les phénomènes.

C’est important pour vous d’échanger sur cette question des risques naturels avec le public ?

Mathieu : Les discours médiatiques sur les risques naturels se limitent souvent à des explications simplistes appuyées par des théories généralistes, voire “généralisantes”. Cette simplification extrême du discours nous pose question. La connaissance des processus naturels par les populations exposées à ces risques constitue pour nous un enjeu fondamental pour la protection des biens et des personnes.

Vous êtes maintenant lauréats du Prix Musée Schlumberger 2014. Quelles sont les prochaines étapes ?

Thibaut : Le bac à sable numérique va être fabriqué par Science Animation à Toulouse qui en a déjà une. Elle devrait arriver à Caen mi-mai. En attendant, nous travaillons tous ensemble sur le cahier des charges qui va constituer la base de nos échanges avec les développeurs [Tout comme pour Cérébro en 2012, c’est la société Datexim qui devrait assurer les développements informatiques, ndlr]. Nous avons une idée assez précise de ce que l’on veut.

Romain : On est obligé de travailler de façon très collective. Il y a beaucoup de mouvements chez les jeunes chercheurs. Des docteurs partent et de nouveaux doctorants arrivent chaque année mais le dispositif, lui, il sera toujours là. C’est donc important que l’on se forme tous ensemble pour pouvoir ensuite transmettre nos connaissances aux nouveaux.

La participation au concours “Têtes chercheuses” passe par la rédaction d’un dossier de candidature assez précis. Le dispositif “Dynam’eau” existait donc sur le papier quelque soit le choix du jury. Du coup, auriez-vous réalisé ce projet si vous n’aviez pas été lauréat ?

Mathieu : Clairement non. Nous n’en aurions pas eu les moyens. La bourse attribuée par la Fondation Musée Schlumberger est indispensable à la réalisation de “Dynam’eau”. L’accompagnement de l’équipe de Relais d’sciences est également un élément essentiel pour que le projet se réalise.

Arthur : Le prix nous a également permis d’obtenir des soutiens du laboratoire, de l’UFR de Géographie de l’Université de Caen Basse-Normandie et de l’Institut régional du développement durable (IRD2) qui vont nous permettre de pousser les développements informatiques encore plus loin.

Où pourra-t-on découvrir “Dynam’eau” ?

Mathieu : Le dispositif sera présenté pour la première fois en octobre 2014 à la remise du Prix Musée Schlumberger qui se déroule chaque année pendant la Fête de la Science.

Romain : On utilisera également "Dynam'eau" pour présenter nos recherches dans le cadre de "Sol contre tous", un évènement organisé par l'Institut régional du développement durable, et de l'Atelier du chercheur.

Augustin : On pourra aussi le présenter aux "Journées du lycéen" et l'utiliser pour nos cours aux étudiants de première année à l'Université.

Pour finir cette interview, une question subsidiaire : pourquoi “Dynam’eau” ?

Matthieu : On a organisé une jeu-concours dans l’équipe pour trouver des bonnes idées. Pas mal de propositions sont sorties : “Formi’sable”, “Ruiss’eau”, “Vice et vers’eau”, “Ruisselle crow”, ...

Augustin : ... mais au final, c’est “Dynam’eau” (Dynamique + Eau) qui a mis tout le monde d’accord.

Alors, allons-y pour “Dynam’eau” ! Il ne nous reste plus qu’à vous souhaiter bon courage pour le grand chantier qui s’ouvre devant vous. On se donne rendez-vous en octobre à la Fête de la Science pour la première présentation publique de votre projet.


Crédits : Science Animation.