"Faire des maths utiles, c'était mon déclic !"
Publié par Guillaume Dupuy, le 4 septembre 2025 400
Zoé Lambert, Enseignante-chercheuse en traitement de l’information à l’université de Rouen Normandie, développe des outils d’IA pour l’analyse d’images. Ambassadrice normande de la Fête de la Science 2025, elle porte l’idée d’une science accessible, transdisciplinaire et ouverte aux jeunes, notamment aux filles.
Zoé Lambert incarne la nouvelle génération de la recherche en sciences du numérique : appliquée, ouverte et profondément humaine. Entre algorithmes d’intelligence artificielle, imagerie médicale et collaborations transdisciplinaires, elle explore les croisements fertiles entre mathématiques, santé et société. Engagée dans la transmission, notamment auprès des lycéennes, et ambassadrice de la Fête de la Science en Normandie, elle défend une science utile, accessible et tournée vers l’avenir.
Zoé, bonjour. Vous êtes, avec Amandine Cayol, l’ambassadrice de la Fête de la Science 2025 en Normandie. Pouvez-vous nous présenter votre parcours jusqu’à votre poste actuel à l’université de Rouen Normandie ?
Bonjour. Je m’appelle donc Zoé Lambert et j’ai 30 ans. Je suis originaire de Rouen et très attachée à la Normandie : j’ai fait mes études d’ingénieure à l’Institut national des sciences appliquées(INSA Rouen Normandie) et je suis aujourd’hui enseignante-chercheuse au sein du Laboratoire d’informatique, du traitement de l’information et des systèmes (LITIS).
Vous avez toujours su que vous souhaitiez faire de la recherche ?
C’est après ces études que ma trajectoire s’est précisée. J’avais une formation solide en mathématiques mais je me suis demandé comment rendre tout cela utile, concret. Mes premiers stages, orientés vers le marketing ou la finance, ne me correspondaient pas. C’est cette réflexion qui m’a poussée à me tourner vers une thèse en lien avec le domaine médical, en partenariat avec le Centre de lutte contre le cancer Henri Becquerel (Rouen).
En quoi consistent vos recherches actuelles ?
Je travaille principalement sur l’imagerie médicale. Je développe des algorithmes d’intelligence artificielle et des modèles mathématiques capables d’assister les médecins dans leurs tâches. Le but est d’automatiser certaines opérations longues ou complexes, comme la détection d’organes sur des scanners avant une radiothérapie. Je précise tout de suite qu’il ne s’agit pas de remplacer les praticien·ne·s mais de les épauler “intelligemment” en leur proposant des outils fiables sur lesquels elles et ils peuvent s’appuyer pour gagner du temps. Si un algorithme peut segmenter une image en quelques secondes ou fournir une base de travail, c’est un atout réel.
Vous avez également travaillé sur un projet autour des falaises normandes. De quoi s’agissait-il ?
Oui, lors de mon post-doctorat au sein du Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema), j’ai participé au programme “Détection et étude de la fracturation par approche hydrologique, géomorphodynamique, géologique et géophysique” (DEFHY3GEO), un projet pluridisciplinaire qui s’intéressait à l’érosion des falaises en Normandie, notamment à Villers-sur-Mer (Falaises des Vaches noires) et à Sainte-Marguerite-sur-Mer (Falaises de craie). Les chercheur·se·s disposaient de milliers d’images captées par drones mais le traitement manuel s’avérait fastidieux. J’ai donc développé des algorithmes capables de détecter automatiquement des fissures, afin de suivre l’évolution de l’érosion de manière efficace. C’était un travail très innovant, avec peu de références existantes. J’ai dû explorer différentes approches, mêlant apprentissage automatique et modélisation mathématique. Là encore, il s’agissait de mettre mes compétences au service d’un besoin concret et local.
Comment collaborez-vous avec les chercheurs d’autres disciplines comme la médecine ou la géologie ?
Ces collaborations sont au cœur de mes recherches. En général, ce sont les spécialistes qui identifient un besoin, formulent un sujet et nous sollicitent pour y répondre avec des outils informatiques ou mathématiques. Avec les médecins, la collaboration est très étroite : on échange en continu, on ajuste les méthodes selon leurs retours, et surtout, ce sont elles et eux qui détiennent les données indispensables pour entraîner nos modèles. Pour les géologues, c’est le laboratoire de géosciences qui a initié le projet sur les falaises. Dans tous les cas, le dialogue est central.
Vous êtes engagée dans des actions pour promouvoir les sciences auprès des jeunes, notamment les filles. Pourquoi est-ce important pour vous ?
J’ai participé cette année à plusieurs initiatives comme le programme “Déclics”, qui m’a permis d’intervenir dans des lycées en Normandie, ou encore au festival “Pint of Science”. Concernant les jeunes filles, c’est un sujet qui me concerne même si, à titre personnel, je n’ai jamais ressenti de frein en tant que femme dans les maths. Mais en discutant avec des lycéennes, on sent des hésitations, une “auto-censure” encore très présente. Certaines pensent que les sciences, "ce n’est pas pour elles", alors je leur parle de mon parcours, pour leur montrer que rien n’est figé. J’ai fait des maths, oui, mais je travaille aujourd’hui dans des domaines très concrets, comme la santé ou la géographie. Et même si leur passion, c’est la mode ou autre chose, il y a toujours moyen de relier ça à des sciences appliquées. Rien n’est binaire !
Pourquoi est-il si important, selon vous, de rendre la recherche plus compréhensible pour le grand public ?
Parce que beaucoup de gens ne comprennent pas ce que fait un·e chercheur·se, et c’est dommage ! Vulgariser nos travaux, c’est permettre à chacun·e de se sentir concerné·e, de s’approprier un peu la science. Je le vois bien avec mes proches. Mes parents, par exemple, me demandent encore ce que c’est un réseau de neurones ! C’est pour ça que je participe à des événements comme la Fête de la Science. Il y a aussi une dimension éducative : les lycéen·ne·s utilisent aujourd’hui des outils comme ChatGPT, mais sans forcément savoir comment ça marche ni comment s’en servir. Je pense qu’il faut apprendre très tôt à comprendre les outils numériques, leur fonctionnement, leurs limites.
Justement, quel regard portez-vous sur l’intelligence artificielle dans notre société ?
C’est un nouvel outil, au même titre que Google à son arrivée. Il ne faut pas en avoir peur mais il faut apprendre à l’utiliser correctement. Il y a bien sûr des dérives possibles, des questions éthiques, un coût énergétique important mais, bien maîtrisée, l’IA est un formidable levier, notamment dans des domaines comme la santé, où elle peut soulager les professionnel·le·s et améliorer la précision des diagnostics. C’est un champ passionnant, en pleine évolution, et qui mérite d’être compris et encadré. À nous de jouer ce rôle d’éclaireur·se, de passeur·se de sciences, pour que chacun·e puisse s’en emparer !
Crédits : Zoé Lambert (DR).
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