Muoscope, Prix Musée Schlumberger 2015

Publié par Guillaume Dupuy, le 25 mai 2015   1.4k

Pour cette édition 2015, ce n'est pas un mais deux laboratoires que le jury a choisi de distinguer. Les lauréats du Prix Musée Schlumberger 2015 sont le GANIL et le LPC pour le Muoscope. Rencontre avec des chercheurs qui voient loin.

Cette année, le Grand accélérateur national d'ions lourds (GANIL) et le Laboratoire de physique corpusculaire (LPC) ont choisi de présenter une candidature commune au concours "Têtes chercheuses". Une initiative qui a porté ses fruits puisque c'est leur projet, le Muoscope, qui est le lauréat du Prix Musée Schlumberger 2015. Arnaud Chapon et Jean-Charles Thomas nous présentent ce dispositif qui nous rappelle que nous sommes tous des poussières d'étoiles.

Arnaud, Jean-Charles, bonjour. Je vous propose de commencer par la question devenue rituelle : qui êtes-vous ?

Jean-Charles : Bonjour. Je m’appelle Jean-Charles Thomas et je suis chercheur CNRS depuis octobre 2004. Au Grand accélérateur national d’ions lourds (GANIL), je suis plus particulièrement en charge de l’accueil des utilisateurs extérieurs. Je m’occupe également depuis plusieurs années de la communication à destination du grand public et des scolaires. J’organise des visites sur le site et j’interviens aussi de temps en temps dans les établissements scolaires pour des mini-conférences.

Arnaud : Moi, c’est Arnaud Chapon. J’ai fait mes débuts dans le domaine de la physique en 2008 au Laboratoire de physique corpusculaire de Caen (LPC) avec une thèse sur la physique des neutrinos. Je suis ensuite parti en post-doctorat au Centre de physique des particules de Marseille (CPPM) sur la cosmologie et la nature de l’énergie noire. Je suis de retour à Caen depuis un peu plus d’un an pour travailler sur la radioprotection dans le domaine de la physique nucléaire. Tout comme Jean-Charles, ces 3 postes m’ont offert pas mal d’occasions d’aller à la rencontre des publics.

Tu avais d’ailleurs participé à l’Atelier du chercheur lorsque tu étais doctorant…

Arnaud : Oui, j’ai commencé avec l’Atelier du chercheur. Il y a ensuite eu le Billotron [Prix Musée Schlumberger 2010, ndlr], Nucléus en 2011, le Kikoikes en 2014 et le Muoscope maintenant.

Il existe donc une “tradition” de la communication dans vos laboratoires. C’est important pour vous d’échanger avec les publics ?

Arnaud : Oui. C’est une culture que l’on a depuis pas mal d’années au LPC, notamment depuis le Billotron. Une volonté de rendre les sciences plus accessibles.

C’est la même chose au GANIL ?

Jean-Charles : Les choses sont un peu plus nuancées. Je dirais qu’il existe un groupe de 4 à 5 personnes fortement mobilisées autour des questions de communication. Moi, en tant que chercheur, il y a 2 raisons pour lesquelles je m’investis dans cette mission. La première, c’est que je pense qu’il est essentiel de se poser des questions. En échangeant avec les publics, j’espère que je réussis à faire passer cette idée qu’on ne peut pas se contenter du monde tel qu’il nous est donné. La seconde, c’est que je considère que j’ai le luxe extraordinaire d’être payé pour me poser des questions. Faire des recherches sur des choses très abstraites qui n’ont pas toujours d’applications directes. Cette situation n’est pas donnée et elle le sera de moins en moins. La moindre des choses, c’est d’expliquer pourquoi c’est important.

C’est le fait que la physique soit une science fondamentale qui vous amène à réfléchir ainsi ?

Jean-Charles : C’est vrai. Je serais peut-être moins préoccupé par cette question si je travaillais sur l’énergie solaire. Pourtant, servir, ce n’est pas nécessairement améliorer le rendement d’une batterie.

Arnaud : Ça peut être simplement d’augmenter les connaissances de l’Humanité.

Jean-Charles : C’est un point très important. Le jour où l’on arrêtera de se poser des questions, on commencera à régresser. Il faut en permanence garder cette envie de découvrir. On ne peut pas se contenter de savoir que les choses sont écrites dans un livre. Si on ne remplit pas notre bibliothèque de choses nouvelles, la culture ne vaut rien. La culture doit être quelque chose de vivant.

C’est ce besoin de rester en mouvement qui vous a poussé à imaginer le Muoscope ?

Jean-Charles : Nous accueillons chaque année entre 600 et 800 élèves au GANIL et, finalement, je redis la même chose à chaque visite. Je ne me renouvelle pas beaucoup. Le premier intérêt que je vois dans des dispositifs comme le Muoscope, c’est qu’ils permettent d’appuyer un discours sur un thème de recherche particulier pendant quelques années. On peut ensuite les renouveler pour parler de choses différentes aux publics.

Arnaud, toi qui a l’expérience du Billotron, as-tu cette impression que ces outils ont un cycle de vie ?

Arnaud : Un cycle de vie, je ne pense pas. Après 5 ans d’existence, le Billotron a un public acquis, notamment à la Fête de la Science. Les gens s’attendent à le voir chaque année et je pense que l’on a encore plein de choses à dire avec. On n’est pas du tout dans cet esprit de fin de cycle. Par contre, il est vrai qu’il est important de multiplier les dispositifs dédiés à la communication. Au LPC, nous avons assez peu de matériels de recherche qui soient facilement présentables à des publics. On a donc pris cette habitude d’aller à leur rencontre avec nos outils plutôt que de les faire venir ou d’attendre qu’ils viennent à nous.

Jean-Charles : Le problème est différent au GANIL mais cela revient un peu au même. On a de beaux équipements à montrer mais on ne peut pas les faire sortir. On accueille les publics dans nos locaux mais ce n’est pas suffisant. Il faut que l’on puisse sortir de nos murs. Le Muoscope, c’est justement l’occasion d’aller vers ces publics.

Le Muoscope justement. Parlons-en. Pouvez-vous nous décrire ce dispositif ?

Arnaud : Il y a en réalité 2 projets sous cette appellation. D’un côté, une roue cosmique destinée aux démonstrations pour le grand public. De l’autre, des cosmodétecteurs et une plateforme web dédiés aux publics scolaires.

De quoi allez-vous nous parler avec ces machines ?

Arnaud : De rayonnement cosmique. La roue cosmique et les cosmodétecteurs sont utilisés pour la mesure des muons.

Pourquoi les chercheurs s’intéressent-ils à ces muons ?

Arnaud : Les muons sont des objets très intéressants sur le plan scientifique. Ils font partie des quelques particules élémentaires à partir desquelles l’Univers s’est constitué. Ce sont également les seules particules d’origine cosmique détectables au niveau du sol.

Jean-Charles : Il existe dans l’Univers des objets qui produisent et accélèrent des particules très énergétiques. Leur interaction avec l’atmosphère terrestre produit les muons. La recherche sur les muons doit permettre d’identifier les sources capables de produire des particules à des énergies si colossales que l’on est incapable de les reproduire sur Terre, même avec des accélérateurs tels que le LHC. S’agit-il de trous noirs, de collisions d’étoiles, ... ?

Arnaud : La recherche sur le rayonnement cosmique est d’ailleurs l’une des raisons de la création du LPC...

Jean-Charles : Oui. La roue cosmique nous permettra de faire ce lien avec les recherches effectuées en Basse-Normandie depuis de nombreuses années. Ce dispositif va être construit à partir d’éléments du détecteur “Tonnerre” qui a été conçu au LPC puis utilisé au GANIL et au CERN. Nous allons essayer de travailler sur cette histoire pour parler plus largement de nos laboratoires et de notre activité de chercheur en physique.

La roue cosmique est donc destinée au grand public. D’autres publics pourront-ils la voir fonctionner ?

Arnaud : Oui, bien sûr. Elle va être utilisée en travaux pratiques (TP) avec les étudiants de Master à l’Université.

C’est un outil qui manquait ?

Arnaud : La mise en place de ce TP était envisagée mais pas forcément cette année. La Fondation Musée Schlumberger nous donne l’occasion d’accélérer un peu les choses.

Jean-Charles : Plus qu’un manque, un souhait de renouveler les pratiques d’enseignement pour donner d’autres choses à voir aux étudiants.

Arnaud : Il n’est pas non plus exclu que l’on amène la roue cosmique dans les établissements scolaires qui utiliseront les cosmodétecteurs.

Comment cela va-t-il se dérouler avec les cosmodétecteurs ?

Jean-Charles : La bourse va nous permettre de fabriquer 2 cosmodétecteurs sur le modèle de ceux développés par le CPPM pour le projet “Cosmos à l’école”.

Arnaud : Ce projet propose chaque année à une trentaine d’établissements scolaires de disposer d’un détecteur pour réaliser des mesures de rayonnement cosmique et de bénéficier de l’accompagnement d’un chercheur. C’est un projet très intéressant qui ne parvient pas à répondre à toutes les demandes des enseignants. On aimerait donc pouvoir contribuer à augmenter la capacité de réponse de ce dispositif, notamment en région. On ne sait pas encore comment tout cela va se passer. Il faut encore que l’on échange avec les responsables du projet.

Jean-Charles : On veut que le projet soit différent des interventions très ponctuelles que l’on fait habituellement. La plateforme web devrait y contribuer en permettant un suivi continu des projets et l’organisation de rendez-vous plus réguliers par visioconférence, par exemple.

La plateforme web. C’est la troisième partie du Muoscope ?

Arnaud : Le réseau “Cosmos à l’école” comprend 30 cosmodétecteurs en circulation dans les établissements scolaires ; 20 sont également installés de façon permanente au Pic du Midi. Cela fait un réseau assez conséquent mais, à l’exception de quelques évènements ponctuels, chaque machine est utilisée de façon isolée. La plateforme web que l’on développe proposera des outils d’analyse et d’échange qui permettront aux élèves de partager et de discuter leurs résultats.

Il y a un côté très participatif dans votre projet...

Jean-Charles : Oui. À chacune de mes interventions dans un collège ou un lycée, j’ai rencontré un enseignant passionné mais souvent isolé. Permettre à un professeur de discuter avec un autre au bout de la France, c’est quelque chose de nouveau. La collaboration est une dimension très importante du métier de chercheur. Ils passent une grande partie de leur temps à échanger avec leurs collègues pour comprendre ce qu’ils voient et mettre en place de nouvelles expériences.

Arnaud : Cette idée est inspirée par les Masterclass du CERN. Le principe de ce dispositif est justement de proposer un contenu commun à plusieurs classes afin qu’ils travaillent ensemble.

Jean-Charles : Avec la dimension supplémentaire que ces Masterclass se déroulent sur une journée alors que notre dispositif sera déployé sur plusieurs mois.

Cet aspect de réseau est-il important pour le projet ?

Arnaud : Certains résultats ne peuvent être obtenus que par cette mise en réseau. Cela permet de croiser les mesures et de mettre en évidence des corrélations à grande échelle. C’est de cette façon que fonctionnent les grands instruments de recherche fondamentale comme le détecteur de Auger.

Jean-Charles : On a cette ambition d’être en compétition avec les grands détecteurs. Ce n’est pas évident. Ça marchera ou pas mais en tout cas, on se dit qu’avec ce réseau de cosmodétecteurs répartis sur le territoire, on donne aux élèves les mêmes outils que les chercheurs.

Vous voyez grand !

Jean-Charles : C’est un projet qui va se développer sur plusieurs années, surtout sa composante web. Cette “Communauté du muon” va se lancer avec 2 ou 3 utilisateurs mais, évidemment, notre intérêt est qu’elle se développe jusqu’à, peut-être, devenir autonome et être gérée par ses membres.

Le Muoscope sera présenté pour la première fois pendant la Fête de la Science. Vous avez donc 6 mois pour le réaliser. Comment vous êtes-vous réparti les rôles ?

Jean-Charles : Initialement, le projet a été imaginé par Arnaud. Il lui est apparu, et je pense que c’était une bonne idée, qu’une association avec le GANIL permettrait de le renforcer, notamment pour les publics scolaires.

Arnaud : Le Muoscope permet de faire le lien entre le rayonnement cosmique et sa mesure par des détecteurs. Ma première idée était donc de permettre aux enseignants et aux élèves inscrits dans le projet de visiter des installations de recherche en physique.

Jean-Charles : Au final, cette dimension sera assez anecdotique. Il se trouve qu’au moment où Arnaud m’a contacté, nous étions en train de discuter de l’accueil en résidence d’une artiste, Amélie Delaunay. On s’est dit que cela pouvait être intéressant de l’associer au projet pour y ajouter une dimension artistique. Cela devrait rendre le dispositif plus attractif, plus accessible et plus étonnant grâce au dessin.

Arnaud : Et au son aussi. Un designer sonore, Yann Fontbonne, s’est également lancé dans l’aventure avec nous.

Jean-Charles : Ces résidences artistiques constituent la vraie participation du GANIL au projet. C’est une dimension nouvelle par rapport aux 5 autres lauréats du Prix Musée Schlumberger.

Arnaud : Il y a 5 ans, avec le Billotron, nous nous étions concentré sur la technique avant la médiation. Le fait de faire intervenir Amélie et Yann dès les premières étapes permet d’appréhender d’emblée le projet de manière non-scientifique.

Jean-Charles : Les publics ne vont pas nécessairement s’intéresser à la radioactivité naturelle ou à l’utilisation de scintillateurs pour détecter les particules chargées. Par contre, le fait de leur proposer d’écouter ces particules ou de les aider à se représenter le rayonnement cosmique par le dessin, cela peut nous aider à créer le dialogue avec eux.

Il y a donc une véritable volonté de médiation au travers de cette démarche...

Arnaud : Exactement.

Jean-Charles : Cette démarche est pertinente pour toucher les publics. Elle l’est également pour les artistes eux-mêmes. Ce projet inspire leurs recherches. C’est d’ailleurs comme ça qu’Amélie parle de son travail. Pour elle, être une artiste, c’est être une chercheuse.

Amélie et Yann seront-ils présents lors des présentations publiques ?

Arnaud : À certaines occasions particulières comme la Fête de la Science bien sûr mais ils ne seront pas présents de façon systématique. J’espère qu’ils auront également l’occasion de présenter le dispositif, notamment la roue cosmique, lors de manifestations artistiques qui leur seront propres.

Le GANIL va donc se concentrer sur la médiation. Quel va être le rôle de l’équipe du LPC ?

Jean-Charles : Le LPC a la plus grosse partie du travail sur la dimension technique avec la réalisation de la roue cosmique et le développement de la plateforme web.

Arnaud : La plateforme représente d’ailleurs un travail bien plus important que la roue cosmique. Heureusement, nous avons toutes les compétences requises en interne.

Jean-Charles : Le travail que font les équipes techniques du LPC en ce moment pour le Muoscope, c’est exactement celui qu’il ferait pour développer un outil destiné à la recherche. C’est la même qualité, la même complexité, les mêmes outils.

C’est un beau savoir-faire qu’il faut mettre en avant.

Arnaud : C’est vrai. Il est important de préciser qu’il y a plus d’une vingtaine de personnes impliquées dans le projet. En recherche bien sûr, mais aussi en mécanique, informatique et instrumentation. Sans oublier la participation du CPPM qui fabrique les cosmodétecteurs.

Jean-Charles : Le Muoscope suscite beaucoup d’intérêt dans nos laboratoires. Il y a de grandes chances que l’équipe se renforce dans les mois, voire les années à venir. C’est d’ailleurs un élément très intéressant de voir comment ce type d’initiative peut fédérer les personnels.

Le projet a-t-il également rapproché vos deux laboratoires ?

Jean-Charles : Il existe des habitudes de collaboration de longue date entre le GANIL et le LPC, aussi bien dans la recherche que dans la communication scientifique. Finalement, on est tous des chercheurs. C’est la même communauté, la même passion, les mêmes objectifs d’amélioration et de partage de nos connaissances.

Dernière question. Pourquoi avoir participé au concours “Têtes chercheuses” ?

Arnaud : L’idée était là avant que le concours ne se présente, il a nous a offert l’opportunité de le réaliser. La bourse apportée par la Fondation Musée Schlumberger nous a réellement permis d’amener le projet au niveau auquel on souhaitait le porter.

Jean-Charles : C’est une chose sur laquelle il faut insister. C’est d’ailleurs l’une des raisons de l’existence de ce prix. Le coût total du projet est bien supérieur aux budgets que nos laboratoires peuvent consacrés à des projets de médiation scientifique. Les 10 000 euros alloués par la Fondation Musée Schlumberger sont essentiels. Il n’existe pas d’autres sources de financement pour ce type de projets.


Merci à vous deux. Il ne nous reste plus qu’à vous souhaiter bon courage pour le grand chantier qui s’ouvre devant vous. On se donne rendez-vous en octobre à la Fête de la Science pour la première présentation publique de votre projet.