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Le Dôme

Elsa.R : l'oeuf et le moule

Publié par Guillaume Dupuy, le 3 octobre 2014   1.2k

C’est en 2010, au moment de la création de l’exposition numérique “Zoom”, que nous avons croisé pour la première fois le chemin d’Elsa.R. Quatre ans plus tard, la voilà de retour avec un projet haut en couleurs : inventer le premier fromage de poule.

Bonjour, Elsa.R. La première question (mais pas toujours la plus simple) : Qui es-tu ?

Mon “vrai” nom est Elsa Rignault. J’ai 33 ans et je suis originaire de L’Aigle dans l’Orne. C’est là-bas que j’ai suivi toute ma scolarité jusqu’à mes 18 ans où je suis partie en Argentine. Ce voyage m’a totalement déstabilisé et est encore très présent dans ma vie. C’était au moment de la crise économique. J’y ai vu d’autres coutumes, d’autres traditions. La réaction des gens, les gens entre eux. J’y ai appris l’esprit d’ouverture et le goût de la rencontre qui guide aujourd’hui mon travail.

Après cette parenthèse en Amérique latine, je suis revenue en Basse-Normandie pour passer un Bac L. J’ai ensuite fait 3 ans en art à l’École régionale des Beaux-Arts de Grenoble puis à nouveau 3 ans, mais cette fois-ci en communication, aux Beaux-Arts de Caen. Après mon diplôme, j’ai cherché a exposer mon travail de fin d’études, “Re-Pâtes Party”. C’est là que j’ai découvert la Ferme culturelle du Bessin où je suis restée jusqu’en 2013.

On se rencontre aujourd’hui pour parler de fromage de poule. La nourriture a-t-elle toujours été présente dans ton travail ?

C’est une prise de conscience tardive. Je me définis avant tout comme une artiste de la rencontre. C’est ce qui me motive depuis toujours, la confrontation à l’autre. Mais en regardant derrière moi, je me suis rendu compte que la nourriture a souvent été présente. En 2005, j’ai travaillé avec le boulanger-pâtissier Heinz Legrix sur un projet de revitalisation de la place Saint-Pierre intitulé “Pla C Bo”. En 2007, mon travail de fin d’études “Re-Pâtes Party” prenait la forme d’un dîner autour d’un plat de pâtes de 3m de long. De 2007 à 2009, j’ai collaboré avec les habitants d’Esquay sur Seulles sur “Recensement photographique”. Cette rencontre s’est traduite par la réalisation de 4 visuels représentant 4 temps de la journée : le petit-déjeuner, le déjeuner, le goûter et l’apéritif… Aujourd’hui, je réalise que cela pourrait constituer une ligne artistique, que cela pourrait devenir mon identité.

Comment est venue l’idée du fromage de poule ?

Après la fin de ma collaboration avec la Ferme culturelle du Bessin, j’ai repris mon travail sur la coloration des aliments. Il me manquait une couleur : le bleu. Je me suis donc lancée dans une série d’expériences culinaires et le bleu est arrivé avec des oeufs mimosas. Parallèlement, j’ai fait des recherches sur la symbolique des couleurs. Ce travail m’a amené à collaborer avec un artisan-fromager, Xavier Godmet, et nous avons créé “Les Vivres”, des fromages de chèvre constitués de 7 couches colorées. Xavier s’est ensuite associé avec un producteur de lait de vache et nous avons essayé d’insérer du fromage de chèvre dans du fromage de vache. Des oeufs mimosas, du lait de chèvre, du lait de vache, des couleurs… tous les ingrédients étaient réunis pour créer le premier fromage de poule !

Quel est le rapport entre un fromage et un FabLab ?

En me lançant dans cette aventure, j’avais conscience que la première chose à faire serait de créer mes propres moules. Sur les conseils de Xavier, je me suis rapprochée d’artisans-potiers [les premiers moules à fromage étaient en faïence, ndlr]. C’est à cette époque que j’ai entendu parlé du FabLab au cours d’une réunion. Le sujet m’a aussitôt intéressé mais j’étais très réfractaire. Si même l’artisanat est remplacé par des imprimantes 3D, où va-t-on ? La réunion s’est alors transformée en débat sur les FabLabs et une personne, Luc Brou, m’a convaincu d’essayer. J’ai été présenter mon projet à l’équipe du FabLab. Et me voilà.

Les choses ont-elles été aussi simples ?

Non. Il y a eu plusieurs défis à relever. Le premier a été de s’assurer que les objets produits par impression 3D étaient compatibles avec un usage alimentaire. Le PLA [Matière plastique à base d’amidon utilisé par les imprimantes 3D, ndlr] est souvent utilisé dans l’emballage alimentaire mais il n’est pas résistant à la chaleur. Une chance pour moi que le fromage se moule à froid !

Il a ensuite fallu dessiner les modèles 3D des moules. J’ai d’abord voulu me former à l’usage des logiciels de CAO [Conception assistée par ordinateur, ndlr] mais j’y aurais passé trop de temps et l’essentiel de mon projet n’était pas là. Nouveau coup de chance. Au cours d’un déjeuner (revoilà la nourriture …), j’ai découvert que mon colocataire, Olivier Talouarn, était un amateur de dessin 3D. Il a accepté de m’aider et nous nous sommes lancés. Entre les contraintes de la machine, la forme très spécifique et les problématiques d’écoulement, les moules se sont révélés être des objets très techniques. Il y a eu beaucoup d’essais et d’erreurs mais nous y sommes parvenu.

Ton travail est donc maintenant terminé ?

Pas tout à fait. Ce projet “Fromage de poule” m’a permis de développer mon travail artistique autour de la rencontre, d’en expérimenter de nouvelles modalités, d’accentuer la dimension de partage de compétences. Cette rencontre a mêlé les domaines de la paysannerie, de l’artisanat, de la fromagerie, des nouvelles technologies, de l’art, du design, … J’ai eu envie de mettre en avant cette richesse, de la mettre en valeur.

Comment ?

En créant un garde-manger. Un écrin de bois, de fer et de plexiglas designé à la façon d’un créateur de luxe. Cet objet, absurde et poétique, sera un nouveau prétexte à créer la rencontre et à poser la question de la réalité économique culturelle et artistique qui dessine le contexte de mes réalisations.